Pereira prétend

« Le soleil brillait implacable, et la brise avait cessé »

Dans l’été  lisbonnais court une ligne de force : une prise de conscience puis un choix et enfin un acte, de ceux qui conditionnent à jamais une vie.

Pereira est le directeur de la page culture hebdomadaire du « Lisboa », un quotidien de l’après-midi de la capitale lusitanienne. C’est un homme un peu avancé en âge, veuf depuis peu, souffrant d’un embonpoint prononcé et du cœur. Un passionné de littérature en particulier française, qu’il traduit, un paisible solitaire vivant dans ses souvenirs, catholique, débonnaire et neutre, parlant avec le portrait de sa femme.

Troublé par la question de la résurrection de la chair, il lit un article consacré à la mort de la plume d’un jeune docteur en philosophie, Monteiro Rossi. Il rencontre le jeune homme qui lui rappelle lui-même et lui propose de rédiger des nécrologies anticipées d’écrivains célèbres de façon à ce que son journal ne soit pas pris au dépourvu le jour du décès de ces grands hommes. Le jeune homme a besoin de travailler, il accepte.

L’été est celui de l’an 1938. Antonio de Oliveira Salazar dirige le Portugal depuis 6 ans déjà. La guerre d’Espagne fait rage. Le Portugal de Salazar, comme l’Italie de Mussolini, l’Allemagne d’Hitler et le Vatican, soutient le général Franco. La presse portugaise fait ses gros titres de réceptions mondaines sur des yachts ou sur l’émouvante inauguration d’une exposition de sculptures sur sable de charmantes têtes blondes. Monteiro Rossi lui propose l’éloge funèbre de Federico Garcia Lorca, annonce la mort de Gabriele d’Annunzio, de Filippo Tommaso Marinetti, se congratulant de la disparition de ces va-t-en-guerre hystériques, il pleure celle du bolchévique Vladimir Maïakovski.

Pereira sursaute, maugrée de ces textes impubliables. Qu’il ne jette pas mais glisse dans un dossier, soigneusement. Pereira rencontre dans le train qui le conduit aux thermes Ingeborg Delgado, allemande d’origine portugaise et juive en attente de visa pour les Etats-Unis. Pereira rencontre dans la clinique où il soigne son cœur, le jeune docteur Cardoso, fin connaisseur de littérature, en partance pour Saint-Malo où il a trouvé un poste dans un établissement hospitalier. Il voit la boucherie juive de son ami détruite et la résignation de celui-ci. Il se fait admonester par son confident, le père Antonio, lié à Rome mais dont l’admiration et l’affection va au clergé basque, excommunié pour avoir pris le parti des républicains, après Guernica.

Sans vouloir aucun lien avec cette cause qui n’est pas la sienne, Pereira paye de sa poche ses articles impubliables à Monteiro Rossi. Il publie un récit patriotique de Daudet qui se termine par « Vive la France« . Il apprend que de grands intellectuels catholiques français, Mauriac, Bernanos, s’opposent à Franco et à la ligne officielle de l’Eglise et commence à traduire « Journal d’un curé de campagne » en vue d’une publication.

Alors qu’un filet de sueur glacée lui glisse dans le dos.

Monteiro Rossi demande l’hospitalité à Pereira qui la lui offre, comme au fils qu’il n’a pas eu. Trois hommes qui cherchent le jeune homme le trouvent là, lui donnent une « leçon d’amour de la patrie » : la mort accidentelle sous la torture volontaire. Faisant fi des menaces du trio auquel on devine des protections haut placées, Pereira abusant la censure publiera la nécrologie du jeune homme avec les circonstances exactes de son décès.

Le jour même François Baudin, homme d’âge un peu avancé doté d’un fort embonpoint, quitte le Portugal à destination de la France.

Ce que nous lisons est son témoignage  : « Pereira prétend… »

Antonio Tabucchi, Sostiene Pereira, Universale Economica Feltrinelli

Edition française : Pereira prétend, Folio.

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