La modeste demeure du Vate

Dans « Sostiene Pereira », Monteiro Rossi écrit la nécrologie de Gabriele d’Annunzio en ces termes :

« Il y a exactement 5 mois, à huit heures du soir, le premier mars 1938, mourait Gabriele d’Annunzio. A cette époque, ce journal n’avait pas encore sa page culturelle, mais le moment nous semble aujourd’hui venu de parler de lui. Gabriele d’Annunzio dont, entre parenthèses, le vrai nom était Rapagnetta a-t-il été un grand poète ? Il est difficile de se prononcer, parce que ses oeuvres sont encore trop récentes pour nous qui sommes ses contemporains. Peut-être vaut-il mieux parler de sa personnalité en tant qu’homme qui se mélange à celle de l’artiste. Il fut avant tout un vate. Il aima le luxe, les mondanités, l’emphase, l’action. Il fut un grand décadent, faisant fi des règles morales, amant de la morbidité et de l’érotisme. Il emprunta à Nietzsche le mythe du surhomme mais il le réduisit à une vision de volonté de puissance d’idéaux esthétisants destinés à composer le kaléidoscope coloré d’une vie inimitable. Il fut interventionniste pendant la grande guerre, ennemi déclaré de la paix entre les peuples. Il vécut des entreprises belliqueuses et provocatrices comme le vol sur Vienne, en 1918, quand il lança des tracts italiens sur la ville. Après la guerre il organisa l’occupation de la ville de Fiume, de laquelle il fut ensuite délogé par les troupes italiennes. S’étant retiré à Gardone, dans une villa qu’il nomme le Vittoriale degli Italiani, il conduisit une vie dissolue et décadente, se distinguant par des amours futiles et des aventures érotiques. Sa sympathie allait au fascisme et aux entreprises guerrières. Fernando Pessoa l’avait baptisé « solo de trombone » et peut-être n’avait-il pas tous les torts. le son de sa voix qui parvient à nos oreilles n’est guère le son délicat du violon, mais la voix tonnante d’un instrument à vent, d’une trompette sonnante et tyrannique. Une vie qui ne fut en rien exemplaire, un poète ronflant, un homme plein d’ombres et de compromis. Un personnage à ne pas imiter, et c’est pour cela que nous en évoquons le souvenir. »

Tout est dit. D’Annunzio, prince de Montenevoso (Montneigeux, titre crée spécialement pour lui par le roi d’Italie sur demande de Mussolini), fut un personnage haut en couleurs. Comme son œuvre, sa demeure, le Vittoriale degli Italiani en témoigne. Hallucinant capharnaüm, étouffante accumulation d’objets qui deviennent signes, telle cette tortue momifiée trônant au bout de la table parce que morte d’avoir trop mangé, telle cette hélice brisée de l’avion d’un ami mort en vol…

Il n’en reste pas moins que la villa est dans un lieu magnifique, en surplomb sur le lac de Garde, et une flânerie dans son parc un moment bien agréable.

http://www.vittoriale.it/

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