Lune rousse sur le Danube

La quiétude du fleuve, brèche de silence dans l’affairement de la nuit belgradoise. Encore que Belgrade proprement dite soit sur l’autre rive, non du fleuve, mais de la rivière, de la Save et que Zemun ne lui ait été rattachée qu’au milieu du siècle dernier.

Zemun, un vieux bourg de maisons basses colorées très Europe centrale,  île ceinte d’un flot d’immeubles qui doivent dater des années 60 et ressemblent d’ailleurs fort à nos bâtiments de ZUP, enlacée par le cours vert de la Save, enveloppée de l’onde bleue du Danube.

Après des heures passées à sillonner le relief tourmenté foudroyé par l’air ardent de la capitale serbe, après cette journée dont l’intensité physique achemine vers le malaise, la défaillance, la rive du fleuve… allez, j’ose, la rive du Fleuve se présente comme un baume. Flaner sur la belle promenade ombragée de platanes, jeter un oeil sur les menus des restaurants dont les terrasses surplombent les eaux, pour plus tard, pour laisser à l’esprit le temps de cristalliser son désir gustatif sur une saveur promise et là, tout de suite, s’engager sur un ponton puis sur la passerelle qui conduit à une péniche-bar, hésiter un instant entre la longue planche-table qui double le bastingage avec rienentreleFleuvetmoi, mais pourvue de bancs sans dossiers ou une table ronde et chaises nettement plus confortables mais en retrait, choisir finalement la commodité de l’appui et commander sa Jelen.

Dans l’après-midi qui cède la place au soir, laisser son regard errer sur le Fleuve.

A quelques 2000 km des querelles de préséance entre la Breg et la Brigach, il étale une noble largeur. Est-ce la brise qui trouble ainsi sa surface d’une infinité de ridules ou faut-il aussi y voir l’effet de l’activité humaine, du brassage de sa substance par des dizaines d’hélices de moteur ? Ce n’est pas dans la seicento rutilante ou cheveux au vent sur la vespa que les jeunes hommes viennent chercher leurs belles, mais en barques de métal coloré qui accostent adroitement au ponton, le temps que mesdemoiselles avec leurs paniers sautent à bord et les sillages bouillonnent, propulsant les amants vers des anses secrètes. D’autres embarcations moins intimes portent de bruyants groupes qui s’éclaboussent en s’esclaffant, plongent et replongent, brassent les eaux auxquelles ils n’échappent qu’un instant, corps luisants se hissant sur le canot, brillant un instant d’un éclat mordoré dans la lumière vespérale avant de retourner au Fleuve. D’autres encore, boites flottantes, typiques embarcations fluviales que la première onde marine renverserait aussitôt, se livrent à une activité frénétique : un indolent moteur les propulse mollement à contre courant sur quelques centaines de mètres, puis le capitaine coupe le contact et le fier navire se laisse valser sur le courant vers l’aval, sur quelques centaines de mètres, puis le capitaine met le contact et remonte à nouveau le courant, lentement, si lentement…

Les ombres s’allongent puis se dissolvent dans l’obscurité qui s’étend, happant le Fleuve. La foule se densifie, se presse sur la promenade qui s’est bordée des stands de vendeurs ambulants de sucreries ou bibelots. Les terrasses des restaurants, combles, bruissent d’éclats de voix. Les péniches aux néons criards se remplissent d’une masse compacte de clients, jeunes pour la plupart. Une multitude effervescente, un essaim bourdonnant se concentrent sur la berge de l’ombre.

Il est bon alors de tourner le dos aux lumières, à l’affairement de la nuit belgradoise, suivre le chemin roux que la lune dessine sur la surface des eaux. Plonger dans la quiétude du Fleuve.

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