La femme du huitième jour

« Le mystère du huitième jour, du début de la deuxième création du monde, après le Jugement Dernier, et la jouissance d’une joie paradisiaque, d’un plaisir au delà des deux sexes, de la sexualité, je le révélerai plus tard. »

Demetrio Androgeo (251-336) qui enseigna la géométrie et la rhétorique est le narrateur des 14 pemiers chapitres de l’ouvrage (Latò et l’amanite sacrée•Appollonia et l’orgie du 888•Rebellion : je coïte donc je suis•La nuit des larmes d’Isis•Lucius, mon destin•Marcella,l’orgasme divin•Le mariage blanc et…les 365 femmes•Avec les évêques sur la sodomie et l’ars amandi•Giulia et les baiseries d’Eleusis•Aloa : la confrérie de la vulve•Jésus personnage historique ou allégorie alexandrine ?•Moka la mulâtre de Marseille•Le portrait diabolique•Le perroquet et l’assassinat de Constantin et d’Hélène)

Né en Crète, il la quitte pour Alexandrie où il fréquente le Mouseîon afin de recevoir une formation mathématique. Il sera d’abord employé comme ingénieur pour résoudre des questions d’irrigation des champs dans le delta du Nil, grenier de l’Empire Romain.

Mais ce disciple d’Eratosthène de Cyrène, « illustre mathématicien mais aussi philosophe et poète« , ne se cantonne pas à sa spécialité professionnelle. Il exerce sa curiosité sceptique sur les différents courants de pensée qui circulent dans ce creuset de peuples de tout le pourtour méditerranéen qu’est l’Alexandrie de la fin du III° siècle. Il devient un témoin privilégié de l’effervescence spirituelle de la cité où à côté des institutions officielles de savoir greco-romain abondent les sectes païennes, chrétiennes, gnostiques. Il expose leurs dogmes et leurs rites dans lequel le corps, voire la sexualité plus ou moins élaborée, tiennent une place importante, en particulier dans les différents mouvements gnostiques.

Les pratiques les plus délirantes conduisant à l’extase, à l’union mystique avec le divin, souvent grâce à l’absorption de drogues et stupéfiants divers, sont monnaie courante alors que l’Eglise chrétienne se structure, organise et développe ses réseaux sous la houlette de l’évêque, tente de mettre de l’ordre et de contrôler le bouillonnement de sectes chrétiennes qui dessinent Jésus à leur guise, réélabore la figure du Christ toilettant à sa convenance les textes existants et en produisant de nouveaux pour servir sa cause, travaille avec ardeur à la récupération du platonisme.

Demetrio devient logographe, conseiller et collaborateur du stoïcien Lucius  Verus, préfet romain d’Egypte. Il convoque Origène, Plotin, Epicure, Marc-Aurèle… il anime des débats sur l’amour, il tient des conférences sur la figure du Christ montrant à quel point c’est un personnage de synthèse, tous les éléments constitutifs de son hagiographie étant déjà présent dans la plupart des cultes antiques. Les adeptes des différentes religions s’èchauffent, les fanatiques se déchaînent.

Il finit par laisser Alexandrie dans laquelle « le sentiment religieux augmente de façon directement proportionnelle à l’augmentation des prix et des taxes« , par abandonner l’Orient où « l’introspection, l’extase -sous toute ses formes, de celle autoérotique et spirituelle […] jusqu’au nouveau modèle de l’auto-punition et du martyre – deviennent le moyen d’entrer en contact avec Dieu. L’enseignement du Nazarèen « Aime ton prochain comme toi même » a été oublié dans la folie de la Croix. »

Cap sur Marseille dans laquelle il résidera quelques années, participant aux constructions d’aqueducs des cités provençales et romaines et vivant une belle histoire d’amour avec une jeune femme exceptionnelle amante du Carpe diem, avant de lui préférer malgré tout la liberté et d’accoster à Rome, à la cour de Constantin, qu’il suivra à Constantinople.

Le dernier chapitre de son récit est consacré à la description et l’analyse de l’histoire et de la personnalité de Constantin et de son hystérique de mère, la concubine-impératrice Hélène. La bataille entre Athanase et Arius fait rage, les chrétiens se déchirent réclamant à grands cris la persécution des factions adverses donc hérétiques. L’Empereur, circonvenu par des dignitaires ecclésiastiques, suit cette religion par commodité (un souverain dans les cieux, un sur terre) et s’abîme dans des rivalités familiales qu’il résout de manière expéditive (zigouillage des gêneurs). Peu importe : Eusèbe de Césarée écrit jour après jour un portrait flatteur de l’empereur destiné à la postérité (les zigouillages sont l’oeuvre de la Divine Providence, le problème est résolu).

Toutefois les dés sont jetés : « Le Christianisme, refusant la restriction juive, dépassant les religions tribales, les barrières ethniques et les exclusions, éliminant définitivement toute forme de polythéisme, était la seule religion oecuménique à même de répondre au cosmopolitisme de l’Empire Romain. Le Christianisme s’affirma, plus que par les visions présumées de Constantin, parce que les masses populaires ne prenaient pas trop au sérieux l’obscurité métaphysique des dogmes et le vain débat des synodes de l’Eglise, mais adaptait son enseignement moral à leurs propres exigences, expériences, fantasmes. »

Le narrateur des trois derniers chapitres (Marighià la Madone Turque•La mystérieuse alchimiste au vitriol•Occultisme et islamisme on-line) est Mimis Androulakis, double contemporain de Demetrio Androgeo, comme lui ingénieur philosophe impliqué dans la vie politique de sa cité (il a été député d’un parti de gauche), comme lui spectateur d’un monde multiethnique où prolifèrent les plus excessifs délires religieux s’exposant, s’affichant, non plus dans les rues d’Alexandrie mais dans les méandres de la Toile.

Mimis Androulakis se sent comme son alter ego antique témoin de la fin d’un monde.

La première partie du livre est un passionnant voyage de rappel (ça doit bien faire 20 ans que je n’avais plus fréquenté ces sphères intellectuelles paléo-chrétiennes) dans l’Alexandrie de la fin de l’Empire romain coïncidant avec l’essor du Christianisme. Le tableau est la la fois dense et clair (encore que parfois suspect de quelques anachronismes : buvaient déjà le pastis à Marseille il y a dix-sept siècles ?), une audacieuse et plaisante synthèse de lectures antérieures. La seconde partie en revanche laisse une sensation d’ébauche hâtive, d’inachevé. Sans doute parce qu’il est plus facile de dessiner le passé, même complexe et multiple, que le présent.

Le livre a été mis à l’index par l’Eglise orthodoxe grecque. On comprend bien que la mise en lumière du foisonnement ouvert de pensées de l’origine ne plaise guère aux sectateurs d’un dogme fossilisé. On saisit évidemment que les critiques explicites de l’association trop étroite de l’Eglise et de l’Etat (la séparation de ces deux entités n’existe toujours pas en Grèce) ou quelques affirmations comme quoi si Jésus revenait il y a de fortes chances qu’il préfère l’athéisme soient susceptibles de faire tressauter d’indignation les poils des barbes grises des popes. Blasphème ! et hop, anathème !

Μίμης Ανδρουλάκης, Η γυναίκα της όγδοης μέρας. Μυστικός έρως – Απόκρυφος βίος, Kastaniotis, 12/2001, 401 pp.

Mimis Andrulakis, La donna dell’ottavo giorno (Amore segreto – vita occulta), trad. M. Caracausi, Crocetti, Milano, 2005, 323 pp.

Commentaires fermés sur La femme du huitième jour

Classé dans carnet de lecture

Les commentaires sont fermés.