ζέι ;

Le souvenir d’une balade chagrine, d’une ballade triste où gémit la kemetzes, une balade empreinte de brume, une ballade rongée de mélancolie. Sumela, été 2010.

Les squelettes de bâtiments accrochés à leur falaise sont de vains murs livrés au tourisme, fantôme fossile d’une civilisation engloutie, mais  l’icône ? La Vierge soit disant peinte de la main même de l’évangéliste Luc, qui a présidé à l’établissement du monastère sur les pentes escarpées et noyées dans l’air opaque du Mont Noir, qu’est-elle devenue ?

« In 1930,a monk secretly returned to Sumela  and retrieved  the  icon, transferring it to the new Panagia Soumela Monastery, on the  slopes  of Mount Vermion, near the town of Naousa, in Macedonia, Greece. » dixit  Wikipedia english version. Really ? La carte Google de région de Naousa fit donc au printemps l’objet d’un tamisage précis, jusqu’à ce que là, à quelques encablures  à peine au nord, à deux battements d’aile de cigogne de la route reliant Veria à Ioannina, la via Egnatia des Romains, ne se matérialise le nom du désir : Panagia Sumela. J’irai.

La visite de Veria est vite pliée. Venant d’Edesse la ville parait bien terne. Les dizaines (ou était-ce des centaines ?) d’églises que vante la ville ne présentent plus d’intérêt particulier, l’autel de saint Paul auquel mènent tous les panneaux de la cité est enchassé de criardes mosaïques glorifiant la prédication locale du Tarsiote (ou Tarsien ? ou Tarsiais ?), le platane séculaire où les Ottomans pendirent l’évêque de la ville est déjà à l’ombre, aucune insolation n’est donc susceptible d’engendrer quelque sainte vision à la contemplation de l’arbre du martyr et les bars qui s’abritent sous son lumineux feuillage sont fermés. La ville est atone, comme toute la région. Les taxis désœuvrés s’alignent le long des artères désertes.

Dès la sortie de l’agglomération les panneaux bruns de Παναγίας Σουμελά captent l’attention, balisant la route. Elle est large, dénouant son ruban d’asphalte sous un ciel d’un bleu intense que ne trouble aucun nuage, dans un air crépitant de sècheresse, loin, bien loin de l’original. Après avoir sensiblement pris de l’altitude cligno à droite, comme la voiture devant, comme la voiture derrière, comme tout le monde à vrai dire.

Une tente igloo se dresse à l’orée du bois. Ses occupants, adeptes de la vie au grand air venus se mettre au vert le temps d’un week end, jouissent de l’air pur et de l’ample vue dégagée, la regard planant sans obstacles sur la vallée de l’Aliakmon. Ces amis de la nature pullulent manifestement dans le secteur, les tentes se multiplient. Dans les mètres suivants il faut se rendre à l’évidence, les slopes du mont Vermion sont complètement colonisées par les campeurs du dimanche.

Soudain, dans la lumière du jour dont l’aveuglante clarté s’émousse enfin en cette fin d’après-midi, les yeux se désillent et l’esprit accueille une tardive révélation : la foule n’est pas là pour s’adonner aux joies du camping sauvage mais se réunit en vue des cérémonies de l’Assomption qui se dérouleront le surlendemain.

Pour qui a connu l’humide solitude du monastère du Pont le contraste est saisissant. Une hallucinante multitude de Grecs et de Tsiganes déferle sur le sentier qui conduit au sanctuaire. Sentier bordé de stands qui proposent des couvertures et divers tissus d’ameublement, des poteries, du miel, des babioles en plastique, des kemetzes, ces lyres du Pont, alors que la peau s’englue dans les odeurs entêtantes et rivales de friture et de sucre chaud.

L’église est neuve, trop. La fumée des cierges n’a pas eu le temps d’estomper, de fondre les contours trop vifs de ces hiératiques et presque immuables figures byzantines. La suie, le temps, doivent encore enseigner l’humilité aux ors resplendissants.

La foule se presse, suit le parcours fléché qui conduit au trésor, à l’icône  annoncent  fallacieusement les écriteaux. Fallacieusement.  L’image n’a guère ici de « similitude cachée » avec ce qu’elle symbolise, sa communauté avec la divinité dont elle transpose l’essence au-delà de l’expérience sensible s’effondre dans la fascination du regard. l’icône est idole. Les fidèles se signent, baisent l’image sainte à travers la vitre qui la protège. Un garde en uniforme, jambes écartées et mains jointes dans le dos veille sur le rite inlassable, sur l’incessante prosternation. Derrière lui une femme armée d’un torchon et d’une solution alcoolisée en pulvérisateur désinfecte le verre tous les dix contacts épidermo-bucaux.

Les pigments n’existent plus, la couronne d’argent finement ciselé dessine une silhouette de bois brut. Que les hommes vénèrent.

Me frayant un passage à travers le cohue pour regagner la voiture, je note les vêtements bleu marine frappés de l’inscription jaune : Ο ΠΟΝΤΟΣ ΣΕΙ (le Pont vit). ζέι ; Il vit ? Peut-etre.

Le surlendemain, le 15 aout, affalée dans une chambre de Thessalonique  pour échapper au brasier d’une journée estivale, ce n’est pas les images de la messe à la Panagia Sumela grecque que je verrai sur les écrans de télévision hellènes. Les pompeuses cérémonies de l’Assomption sont retransmises en direct. Le vent de la Mer Noire soulève la barbe blanche de Bartholomée I°, le patriarche de Constantinople. Un soleil incertain et voilé baigne la foule qui se presse dans un renfoncement de falaise sur les pentes du Karadag.










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