Le beau capitaine

« Et c’étaient aussi les cohortes de politiciens qui se succédaient, droitiers ou centristes, ayant désormais jeté les masques, et qu’apparemment une seule chose intéressait: profiter du pouvoir, en tirer de l’argent. Pour moi, tout cela ressemblait à un vain effort pour éviter un destin qui se rapprochait du pays sans rémission.« 

Pour l’individu de ce début de XXI° siècle qui suit attentivement l’évolution de la vie des Grecs hors de la propagande que claironnent les médias officiels et esclaves de leurs propriétaires et de leurs financiers, certaines phrases ont des échos sinistres.

Le Beau capitaine est un huis-clos. Une relation exclusive, partielle car orientée vers un unique objectif, entre un juriste d’âge mûr du Conseil d’Etat et un jeune capitaine. Le premier est le rapporteur des requêtes  successives du second qui demande toujours la même chose : l’invalidation de décisions de la hiérarchie militaire à son sens injustifiées :  refus d’avancement puis deux mises à la retraite anticipée. Le Conseil d’Etat annule les décisions de l’armée, qui n’en tient aucun compte.

Sur cette trame, en une prose limpide et d’une extrême simplicité, Menis Koumandareas tisse des variations.

Le trouble, le trouble qu’engendre la beauté lumineuse du jeune homme, son caractère rayonnant et pur, chez le conseiller amateur d’art, sa tendance à s’adonner à un paternalisme non dénué d’ambiguïté. Ambiguïté dont s’empare le Sénateur, vieille fille secrétaire au greffe, que la relation des deux hommes plonge dans un émoi sarcastique. La jalousie qu’engendre cette beauté chez les collègues militaires du jeune officier, surtout son supérieur, Kakoulakos, rustre, laid, pauvre, conscient de l’écart de fortune avec son subordonné et qui en conçoit une amertume le poussant à une profonde perversité. Il cherche par tous les moyens de s’approprier une parcelle de l’aura du capitaine, échoue, forcément, se venge avec des paroles d’une ostensible violence, profitant de sa situation de supérieur hiérarchique et de l’obligatoire obéissance dans l’armée.

Entre l’automne 1959, date de la première requête du capitaine, et avril 1967, date de la réponse favorable du Conseil d’Etat à sa quatrième requête, les rumeurs de la vie politique grecque, étouffées par les sombres lambris qui tapissent les murs, peuplent les chuchotements des conseillers. Kostantinos Karamanlis (le tonton de l’actuel) et son ERE remportent en 1961 des élections trafiquées. Grigorios Lambrakis est assassiné à Thessalonique en 1963.  Georges Papandreou (le papi de l’actuel) fonde l’Union du Centre qui gagne les élections de 63 et 64, et minaude avec la monarchie. Au printemps 1965 son fils trempe dans le scandale de l’ASPIDA, groupe de pression d’officiers de gauche tous condamnés à de lourdes peines. L’été de la même année le roi Constantin II (24 ans !) dépose le premier ministre avec l’aide de quelques « renégats » de l’Union du Centre. L’atmosphère se tend et le 21 avril 1967, les colonels s’emparent du pouvoir. Le Parlement est ceint d’un infranchissable cordon de militaires. Ces événements font moins de bruit que les oiseaux dont on entend le gazouillement par la fenêtre entrouverte.

Le conseiller est à la retraite, l’ombre misérable du capitaine prématurément  vieilli, dont toute beauté, dont tout éclat ont disparu, erre dans les couloirs du Conseil d’Etat, s’informant de l’issue d’une requête qui n’existe plus auprès d’employés qui ne le connaissent pas.

Personne n’a de nom. Les hommes valent par leurs émotions, leur volonté, leurs mots. Le lecteur apprend cette histoire de la bouche du conseiller, désormais fort âgé, qui la narre à un très jeune officier. Ce dernier a déposé une requête auprès du Conseil d’Etat pour demander l’annulation d’une décision à son sens injustifiée prise par la hiérarchie militaire : refus d’avancement.

L’histoire, avec quelques variations, se répète.

Μένης Κουμανταρέας, Ο ωραίος λοχαγός,  Κέδρος, 1982

Mènis Koumandarèas, Le Beau capitaine, trad. M. Volkovich, Quidam éditeur, 2011, 204 pp

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