Comme Dieu le veut

Tout ce qu’il avait fait n’avait servi à rien. Personne ne comprenait qu’elle était morte pour quelque chose de grand, de plus important. Parce que Dieu l’ordonne ainsi.

Les gens remontaient dans leurs voitures. Le spectacle était terminé.

Six jours dans la plaine padane, de la nuit de vendredi à la journée de mercredi, de la solitaire exécution d’un chien aux funérailles bondées d’une adolescente assassinée. Six jours dans la neige, le brouillard, la boue, parmi les files infinies de hangars industriels et de gigantesques et clinquants centres commerciaux qui s’alignent le long de routes à la circulation incessante où les camions côtoient  un vieux ducato et  des 4X4 de luxe.

L’auteur se concentre sur une petite troupe, d’affreux. Rino Zena, sans emploi, ivrogne, admirateur d’Hitler. Cristiano Zena, son fils, 13 ans. Danilo Aprea, sans emploi, ivrogne. Corrado Rumitz dit quatre-fromages, sans emploi, cinglé de naissance et ultérieurement abimé par une ligne à haute tension. Ils sont laids, et paumés. Des rebuts de la société. Il rêvent. Quatre-fromages de compléter la crèche faite de matériel de récup qui couvre complètement son salon et de se faire branler par Ramona, la blondinette de la cassette porno qu’il visionne en boucle ; Danilo d’offrir à son ex-épouse le magasin de lingerie qui la fera revenir ; Cristiano d’avoir une petite moto cross pour aller au collège. Seul Rino ne rêve pas, il se vautre en absorbant d’astronomiques quantités d’alcool devant la télé, saute les minettes de bonne famille désirant faire des expériences fortes avant de se ranger dans leur milieu d’origine et vit d’expédients. Sa seule obsession est de na pas être séparé de son fils, y compris s’il doit jouer au Monopoly tous les jours où se pointe l’assistant social. Son fils qu’il élève en tachant de lui transmettre le seul pouvoir dont il dispose, la violence, les coups à chaque manque de respect qu’on lui témoigne.

Leur odyssée immobile aurait pu continuer longtemps si le fils du patron de l’entreprise en bâtiment qui leur fournissait quelquefois un peu de boulot leur permettant de végéter en paix n’avait pas décidé de les substituer par de plus dociles immigrés, les contraignant ainsi à trouver d’autres moyens de subsistance. Rino se résoud donc à mettre en oeuvre le plan de Danilo qui veut desceller un distributeur à billet afin de réunir la somme nécessaire à l’achat du magasin ; Quatre-fromages est impliqué dans le coup. Il est fixé au dimanche soir, jour de derby Inter-Milan garantissant les rues désertes. Un orage furieux se déchaine, rien ne se passe comme prévu, Danilo e Quatre-fromages poursuivent seuls leurs propres rêves, contrôlant à chaque pas la bienveillance que Dieu nourrit pour leurs plans respectifs en Lui fixant de petits défis significatifs.

Niccolò Ammaniti entraine ses lecteurs dans les bas-fonds de la société italienne (occidentale ?). Il les plonge dans la laideur, la misère (l’état des habitations et des réfrigérateurs), la saleté, la grossièreté, la violence impitoyable des exclus du système paillettes omniprésent dans l’espace public padan. Et il le fait avec beaucoup d’humour. On rit souvent de sa présentation des scènes, très enlevées, très graphiques même (on a souvent l’impression d’être dans une bande dessinée) où ces largués se trouvent confrontés au monde dit normal. Jusqu’à ce que le rire se fige en rictus, de dégout, d’horreur.

Ce n’est finalement pas l’humour, le rire, qui éclaire ces très sombres pages où la grisaille et l’obscurité des lieux se fond à (ou engendre ?) celle des personnages destructeurs d’eux-mêmes et des autres. C’est la tendresse, c’est l’indéfectible affection de Rino et de Cristiano. Ici, comme dans Je n’ai pas peur et Je t’emmène, une fragile et lumineuse figure d’enfant traverse, chancelante et courageuse, la brutalité du monde adulte.

Niccolò Ammaniti, Come Dio comanda, Mondadori, 2006, 495 p.

Niccolò Ammaniti, Comme Dieu le veut, trad. M. Bouzaher, Grasset, 2008, 544p.

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