Un jour d’août, 19 ans après l’incendie

Inšallah Madona, Inšallah

« … cours et trouve l’accordéon de quelqu’un d’autre. Mon petit français, cette chanson, il ne sait pas te la jouer. »

Qu’est-ce que ne peut jouer un accordéon parisien ?

Un instant… Calez-vous confortablement dans un fauteuil. Fermez les yeux. Si j’osais, je vous suggèrerais même de boire une petite rasade d’alcool fort, de celles qui dénouent la tension du quotidien et donnent la sensation que la circulation du sang dans les veines devient plus fluide.

Freelander

« Cette Volvo l’avait immobilisé aux temps où il était un professeur d’histoire de 35 ans, elle l’avait ancré dans ces saisons de la vie desquelles tous les êtres humains, y compris s’ils sont Croates et catholiques, devraient sortir une fois pour toute, pour commencer à respirer. Au risque de mourir le jour suivant, mais en hommes libres. »

A 35 ans, Karlo Adum avait fait un voyage en Suède pour rendre visite à une tante, exilée en Scandinavie parce que son mari avait quelques craintes quant aux effets possibles de son activité militaire durant la seconde guerre mondiale si jamais il était resté en Yougoslavie et Karlo en avait profité pour assouvir un rêve : acheter une magnifique Volvo, orange, au klaxon évoquant les symphonies  de Malher, inusable fleuron de l’industrie automobile scandinave. 

Sarajevski Marlboro

« Caresse doucement tes livres, étranger. Et souviens-toi qu’ils sont poussière. »

les derniers mots du livre que je tiens entre les mains…

29 nouvelles, très courtes, entre trois et cinq pages, parfois moins. Du concentré,  de l’essence de récit. Les narrateurs en sont des habitants de Sarajevo ou de ses immédiats environs, Vitez, Kakanj… ils parlent d’eux-mêmes, « je » anonyme, ou de leurs voisins, Zoran, Rade, Musa, Izet, Dinka, Velija… tour à tour Croates, Serbes ou Bosniaques, mais cela importe sans doute davantage aux autres qu’à eux-mêmes.

Contes de la solitude

« Cette ville souvent lui paraît, comme ce soir, une prison de murmures et de bruits, un pays de silence énigmatique et dangereux, de pensées restées en suspens, de paroles non dites. »

Ainsi Stamboliya, Bosniaque émigré à Istanbul où il a fait carrière dans l’administration impériale ottomane, perçoit-il Sarajevo, sa ville natale dans laquelle il est revenu pour tenter de comprendre le feu qui couve, la révolte qui s’annonce.

En bourrasque

L’asphalte parfaitement lisse de l’autoroute neuve conduit à Sarajevo.

Si le voyage n’était pas uniquement vagabondage, s’il fallait lui donner un but, alors ce but serait Sarajevo. Parce qu’aller à Sarajevo c’est réanimer, reconquérir un territoire mental vicié par la … la quoi ? la bêtise ? la méchanceté ? la perversion ? .. je ne sais pas, ceux-ci sont des mots lourds dont on doit user avec prudence, des mots expéditifs et coléreux peu à même de rendre la complexité d’une histoire humaine. Disons seulement alors qu’évoquer Sarajevo pour une quadra c’est un serrement de gorge, une onde de désarroi, l’impression de se trouver encore une fois confrontée à ce que l’espèce humaine est capable, avec une remarquable persévérance, de produire de pire.