Archives de Tag: Sarajevo

Amour et obstacles

– Alors Sarajevo vous a plu ?

– Je n’ai pas encore vu grand chose, mais ça me rappelle Beyrouth.

Ah oui, et la fontaine Gazi Husrevbegova, dont l’eau possède une saveur sans égale dans le monde ? Et les minarets qui s’illuminent tous en même temps, au coucher du soleil, le jour de ramadan ? Et la neige qui tombe lentement, chacun de ses flocons qui descend dans une chute patiente, chacun pour soi, comme en rappel le long d’un fil de soie sombre ? Et le fracas des volets en bois le matin, à Baščaršija, lorsque toutes les vieilles boutiques ouvrent à la même heure et quand les rues exhalent un arôme de café à la mousse épaisse ? La chitine du monde est encore en train de durcir, ici, mon pote. Lire la suite

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Le palais en noyer

« Il y a deux façons naturelles de quitter le monde : ou bien, comme c’est le cas pour la plupart d’entre nous, on part résigné de voir la vie s’en aller, ou bien on finit par sombrer dans la folie car l’âme ne résiste pas au refus de toute résignation. C’est toujours l’intensité de la folie qui détermine la durée d’une vie. »

Diana Delavale, fébrile d’anxiété, explique à l’archiviste en instance de retraite du commissariat de Dubrovnik, que le jeune docteur qui a effectué une injection létale à sa mère, Regina Delavale, née Sikirić, n’avait pas d’autre choix. Lire la suite

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Venelles ottomanes, ruelles balcaniques

Une aube de février. Un glacial crachin hivernal cingle Istanbul. La ville s’abîme dans le gris. Çarşi, mot à peine entrevu par la vitre du bus qui fonce vers l’aéroport de Sabiha Gökçen en hèle aussitôt d’autres. Čaršija en territoire slave, çarshija en terres albanaises, prononciation identique dans toutes les langues : tcharch(i)-ya. Quartiers ottomans de villes balkaniques. Souvenirs de promenades estivales, de la Baščaršija de Sarajevo à la Стара чаршија de Skopje en passant par celle de Bitola. Lire la suite

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L’espoir est une chose ridicule

« La partie la plus ardue, dans la narration écrite de la vie de quelqu’un, c’est d’effectuer un tri dans l’abondance de détails et de micro-événements. Tous également signifiants, ou également insignifiants. Si l’on choisit de n’inclure que les événements importants (les naissances, les morts, les amours, les humiliations, les fins et les commencements) on en exclut la substance réelle de la vie, l’éphémère, les moments de rien, bien trop minuscules pour qu’on s’en souvienne : le train qui s’arrête dans une gare où il n’y a personne, une araignée qui glisse le long d’une corde invisible et qui atterrit par terre juste le temps de se faire marcher dessus, un pigeon qui vous regarde droit dans les yeux, un léger hoquet de la personne qui se tient devant vous dans la queue pour le pain, un mot inintelligible prononcé par une fille d’une nuit, qui dort nue, anonyme, à côté de vous. Lire la suite

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Sarajevo omnibus

« La balle s’est frayé un chemin dans les tissus tendres de sa poitrine. Chaude et folle, elle a percé sa peau, puis frôlé ses poumons. Et c’est tout, le cœur de François-Ferdinand est épargné, ses belles médailles aussi. Il y a juste du sang qui dessine une atroce arabesque sur sa poitrine. On dirait une carte géographique aux étranges continents, monstrueux, dont les frontières se modifient à vue d’oeil. »

En langage cinématographique un omnibus est un film constitué d’une compilation de segments autour d’une même thématique. Lire la suite

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Sur le fascisme

« Alors la renaissance ou le chaos ? Avec le pouvoir qui lui a été attribué cet homme enrichira la vie de la péninsule avec de nouvelles valeurs ou un coup de vent l’emportera, lui et ses chorégraphies de chemises noires et matraques ensanglantées et  la foule de ses adorateurs ingénus ou rusés, pour laisser la place à de nouveaux hommes pour de nouvelles batailles ? » se demandait Ivo Andrić dans les colonnes de la Jugoslavenska niva en 1923.

En 1920, alors âgé de 28 ans, il est nommé secrétaire de 3° classe dans la représentation diplomatique du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes près le Saint-Siège. Lire la suite

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Ciao cara…

Les bâtiments se serrent progressivement les uns contre les autres, s’élèvent en hauteur parfois. Les voies asphaltées où courent les transports en commun se ramifient en masse, couvrant la terre d’un maillage serré. Les commerces se diversifient, en taille et en marchandises proposées. La foule se densifie. Je suis en ville. Peut-être en connais-je le nom, peut-être était-elle ma destination et recueillerais-je sur son compte d’attentives informations. Peut-être la traverserais-je sans en garder de souvenir… Peut-être y reviendrais-je volontiers, peut-être jamais. Vivre à Bordeaux, marcher dans Paris, déambuler dans Le Caire, à Bamako, à Marrakech… se balader avec plaisir à Berlin ou à Istanbul… Des villes… des lieux identifiés comme « ville », parce qu’ils correspondent à une organisation mentale du monde distinguant ville et campagne.

Et puis il y a des villes, Lire la suite

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Le projet Lazarus

« Iuliana m’a aidé à trouver un taxi qui nous conduise de Chișinău à Bucarest, où nous pourrions prendre un train pour Belgrade, et de là rejoindre Sarajevo. »

Vladimir Brik et Rora ont auparavant fait halte à Chernivtsi-Czernowitz (les noms de villes d’Europe orientale sont très labiles), à Lviv, à Krotkiy. Ils sont partis de Chicago où ils étaient tous deux arrivés en provenance de Sarajevo, leur ville natale.

Le premier, ni serbe, ni croate, ni musulman (il explique à une vieille Américaine fascinée par tant d’exotisme que « bosniaque » est une citoyenneté pas une ethnie), descendant d’Ukrainiens installés à Sarajevo du temps de l’empire austro-hongrois, est un écrivain en devenir, ex-professeur d’anglais, actuel auteur de chroniques sur les immigrés, mari entretenu d’une neuro-chirurgienne hyper-américaine catholique d’origine irlandaise. Lire la suite

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La forteresse

« Je suis un petit homme qui a oublié qu’il était petit. Je les ai vexés en osant penser.« 

Celui qui tient ces propos est Ahmet Chabo, tout jeune instituteur de Sarajevo, parti combattre les Russes dans les marais du Dniestr pour le compte de la Sublime Porte, narrateur de ce roman de Meša Selimović.

De retour dans sa ville natale, le corps intact et l’esprit en miettes, il erre parmi les ombres de sa famille disparue avant de s’installer comme secrétaire chez son bienfaiteur auquel il a sauvé la vie en Russie, l’avocat Moula Ibrahim. Il vagabonde avant de se marier avec Tiana, une chrétienne  pauvre, orpheline, vive d’esprit, au caractère doux et affirmé, belle. Il mène alors une existence dans le dénuement, un dénuement digne et heureux, satisfait de l’humilité de son sort. Lire la suite

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Soir de ramazan à Sarajevo

Dans l’après-midi finissante, les oiseaux viennent s’abreuver à la fontaine qui gazouille sous la treille. Ils jettent un coup d’oeil furtif et intense aux clients attablés sur la terrasse de l’hôtel Alem avant de lamper une becquée d’eau et de s’envoler.

A l’ombre légère de la vigne, la plupart des commensaux confortablement enfoncés dans les coussins des banquettes et fauteuils sont des habitants de la ville, ou peut-être même du quartier, je reconnais ne pas avoir (encore ?) l’oeil ou l’oreille suffisamment exercés pour distinguer un résident de Vraca, d’un habitant de Mejtas. Et les clients se connaissent, s’interpellent, se serrent les mains et échangent quelques propos avec ceux qui sont déjà installés, au fur et à mesure qu’ils arrivent. Lire la suite

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